« Mais, mes chers amis, on ne peut pas vivre d'argent! L'argent n'est pas quelque chose dont on puisse vivre. C'est là qu'il faut commencer à réfléchir. Et cette question est intimement liée au véritable intérêt que l'on se porte d'être humain à être humain. Quiconque croit vivre de l'argent dont il a hérité ou qu'il a reçu de n'importe quelle autre manière, hormis en travaillant, comme c'est aujourd'hui normalement le cas, quiconque vit avec cet état d'esprit ne possède aucun intérêt pour ses semblables, pour cette raison que personne ne peut vivre d'argent. L'être humain doit manger, et ce qu'il mange doit être obtenu par le travail d'autres êtres humains. Il lui faut s'habiller, et ses vêtements, d'autres doivent les fournir par leur travail. Pour que je puisse enfiler une veste ou un pantalon, des êtres humains doivent employer leur force de travail pendant des heures afin de les réaliser. Ils travaillent pour moi. C'est de cela que je vis, pas de mon argent. Mon argent n'a d'autre valeur que de me donner le pouvoir de me servir du travail d'autrui. Et étant donné les rapports sociaux actuels, on ne commence à témoigner de l'intérêt pour ses semblables que lorsqu'on répond à cette question de façon adéquate, lorsqu'on se représente en pensée : Un certain nombre d'êtres humains doit travailler un certain nombre d'heures afin que je puisse vivre au sein de la structure sociale. Il ne s'agit pas de se flatter en se disant : J'aime le genre humain. On n'aime pas le genre humain lorsqu'on croit vivre de son argent et qu'on n'a pas la moindre idée de la manière dont les êtres humains travaillent pour nous, pour que l'on ait au moins le minimum vital. Mais cette idée : tel nombre de gens travaillent afin que nous ayons le minimum vital, est inséparable de la suivante : nous devons en revanche rendre à la société, non pas avec de l'argent, mais de nouveau par du travail, ce qui a été produit pour nous. Lorsque nous sentons l'obligation de travailler, sous quelque forme que ce soit, en compensation du travail d'autrui dont nous bénéficions, alors seulement nous avons de l'intérêt pour nos semblables. Donner son argent à autrui signifie seulement pouvoir le tenir en tutelle, en esclavage, pouvoir l'obliger à travailler pour vous. »
Dornach, 30 novembre 1918 – GA186
Rudolf Steiner