À lire dans l'ordre articles n°1 à 14.
Il est illusoire de penser que des institutions par elles-mêmes peuvent susciter des conditions de vie satisfaisantes sur le plan social sans que les hommes aient individuellement un état d'esprit social. Il s'agit de créer une vie culturelle libre permettant aux impulsions sociales de la nature humaine de trouver leur épanouissement.
Cette vie culturelle deviendra alors une source intarissable d'impulsions sociales qui imprègnera les relations juridiques et la direction de la vie économique.
La crise actuelle réclame le développement d'une autre impulsion pour l'exercice des facultés humaines dans le travail que la recherche égoïste du profit économique au moyen du capital.
La sphère culturelle repose sur les aptitudes, talents, facultés de chaque être humain pouvant s'exprimer dans les différents domaines de la vie culturelle : activité scientifique, philosophique, littéraire et artistique, activité religieuse, éducation, ... Ces facultés individuelles ne seront fécondes pour l'organisme social que si elles peuvent s'exprimer librement et ne sont pas influencées artificiellement par la vie économique ou par l'État afin de répondre à leurs besoins.
Dans ce sens, la vie culturelle doit être «affaire privée» vis-à-vis de l'État et de l'économie.
C'est de cette sphère que la vie de l'État et de l'économie pourront recevoir les forces régénératrices que l'État et l'économie ne pourraient se donner à eux-mêmes s'ils organisaient l'activité culturelle selon leur propre point de vue. Ces forces nouvelles proviennent de la création sans cesse renouvelée de l'esprit humain au sein d'une vie culturelle autonome et autogérée.
L'homme éduqué dans un régime d'autonomie culturelle refusera d'être intégré par la société à la manière d'un rouage de mécanique après avoir été fabriqué à partir d'un moule. On verra que son apport ne détruit pas l'harmonie d'ensemble, mais la parachève.
- La vie culturelle autonome donnera à la volonté individuelle son orientation sociale.
- L'État indépendant dégagera de ces volontés individuelles d'inspiration sociale une volonté collective efficace et juste.
- Les volontés individuelles d'orientation sociale s'exerceront dans le circuit économique autonome où elles régleront la production et la distribution des biens en fonction des exigences de la société (économiques, sociales, écologiques, ...).
Vers une école (primaire, secondaire, supérieure, universitaire,...) autonome au plus près de la vie ...
Le fait que l'instruction publique incombe à l'État après que celle-ci l'ai retirée aux communautés religieuses est aujourd'hui si bien enraciné dans la conscience des hommes qu'il est difficile de la remettre en question sans se faire traiter de théoricien dépourvu de sens de la réalité. Or, le temps est venu où toute la vie culturelle doit pouvoir se libérer totalement du contrôle de l'État et avoir les possibilités de s'autogérer.
L'action féconde de l'école et de l'éducation ne saurait se développer qu'au sein d'une vie culturelle libre autogérée. De cette manière, les personnes chargées de l'instruction publique seront libérées des contraintes imposées par un programme pédagogique officiel de l'État en vue de former des citoyens répondant à ses besoins.
La matière de l'enseignement et le but de l'éducation doivent être exclusivement fondés sur la connaissance intime de l'être humain en formation, la reconnaissance et le libre développement de ses aptitudes, le développement du sens social. Au lieu d'appliquer un programme (les êtres humains ne sont pas des robots !), l'activité pédagogique s'inspirera de l'observation directe de la vie.
On pourra ainsi intégrer dans l'organisation culturelle des spécialistes du secteur économique ou juridique disposant d'une expérience pratique de longue date. Les responsables de la vie culturelle pourront faire des stages périodiques qui leur permettront de garder un contact fructueux avec la réalité pratique. Des échanges permanents entre la vie culturelle et les autres domaines de l'organisation sociale pourront être établis.
Ce libre développement des facultés ne peut se faire que grâce à la liberté dont les éducateurs jouissent eux-mêmes. En effet, la reconnaissance, l'épanouissement des facultés individuelles et leur formation pratique dans un certain domaine dépendent de l'expérience, des qualités personnelles de l'enseignant dans ce domaine et non de critères étrangers. Des hommes sensibles à la réalité sociale ne peuvent être formés qu'au moyen d'une éducation dirigée et gérée par ceux qui ont déjà, eux-mêmes, ce sens social. Or, il est antisocial de faire éduquer et instruire la jeunesse par des gens qui deviennent étranger à la vie et dénués de sens pratique parce qu'ils se voient prescrire, de l'extérieur, le sens et le contenu de leur activité.
Ni l'État, ni la vie économique ne sont habilités à déterminer les qualités requises pour une fonction donnée et de demander à l'organe culturel de développer les connaissances et aptitudes en vue de satisfaire leurs besoins. Au contraire, l'État et l'économie seront contraints à s'adapter aux progrès réalisés dans le domaine de la vie culturelle et à adopter des formes qui puissent s'harmoniser avec les exigences de la nature humaine. De cette manière, l'ordre social pourra s'enrichir des impulsions toujours nouvelles qu'apportent les générations montantes.
Au lieu de subir l'effet paralysant des contraintes provenant des impératifs d'ordre politique et économique, une vie culturelle autonome englobant l'école et l'éducation formera des individus pleins d'énergie et d'enthousiasme au service de la société.
Enfin, l'administration scolaire, l'instauration des cours, les objectifs d'études ne reviendra qu'aux personnes prenant une part active dans l'enseignement ou exerçant une activité créatrice dans un autre domaine de la vie culturelle. Ainsi, ce dont on aura fait l'expérience directement dans la pratique de l'enseignement ou dans tout autre activité intellectuelle et créatrice se répercutera au niveau de l'administration et de la gestion en terme de forces vives.
Chacune de ces personnes partagerait son temps entre l'enseignement ou le travail intellectuel d'une part, et l'administration de l'instruction publique d'autre part.