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Catégorie : Santé
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Liberté, égalité, fraternité

Penser la santé, panser l’économie : la stratégie du confinement 

Deuxième confinement ? ça ne passe pas : remises en cause des mesures, des bases scientifiques de ces mesures, voire des chiffres statistiques qui les justifient grondent de toutes parts.

Fait significatif, je reçois des appels à pétitions dans deux directions opposées : l’une réclame plus de rigueur dans la gestion de la crise, dans le respect des mesures de confinement décidées, pour éradiquer plus efficacement l’épidémie. L’autre réclame au contraire un retour à la liberté de se déplacer, de travailler, de se cultiver estimant que les sacrifices imposés sont plus nuisibles que l’épidémie elle-même.

Un manque de clarté en tous cas fait penser à des dysfonctionnements. C’est la porte ouverte aux thèses complotistes. Et pour le moins aux interrogations légitimes sur les conflits d’intérêts. Les intérêts sonnants et trébuchants, c’est une chose ; là-dessus, enquêtes officielles, encadrement juridique, noient un peu le poisson avec la distinction de divers degrés dans le conflit, selon les seuils de rémunération, les avantages seulement en nature, etc., bref des nuances dans les liens entre chercheurs et buisines pharmaceutique. 

Penser la santé : un parti pris au sein de la science, qui traite les citoyens de façon inégale

Mais l’intérêt premier, c’est la façon de s’intéresser au monde et au vivant en particulier. Et là le conseil scientifique parle d’une seule voix, réductionniste, c’est-à-dire avec la pensée réduite à l’idée de cause à effet entre molécule et maladie. Molécule induite par un virus qui provoque la maladie. Molécule injectée par un médicament qui éradique le virus. Et la perspective vaccinale, c’est à dire inoculation d’un intermédiaire qui se chargera d’engendrer la molécule adéquate… Et même dans ce schéma simplifié, des nuances, des hypothèses variées existent.

Les mesures prises par le gouvernement répondent à un de ces schémas particuliers au mépris des autres façons d’envisager, de penser le vivant, et notamment celles, plus humbles, pour qui l’intrication des êtres vivants associe maladies et guérisons dans des régulations complexes, holistiques. Ce parti pris fait que nombre de soignants ne se sentent pas pris en compte dans leur compétence ; et cela ne correspond pas non plus à l’intuition vécue d’une partie de la population pour qui cultiver l’immunité irait dans le sens opposé aux mesures imposées par la loi d’exception.

Culturellement, donc du point de vue de la conception du vivant autant que philosophiquement, le choix qui est fait met de côté une grande partie des citoyens. Cette mise à l’écart fait le lit de la colère. On peut dire que les citoyens sont traités inégalement selon leur adhésion à un courant de pensée ou à un autre.

Si la situation sanitaire collective est inédite, elle mérite une méthode inédite. Une recherche féconde demanderait d’intégrer les différents courants de pensée, de croiser leurs acquis. Chacun se soumettant à la critique constructive des autres, pour élaborer ensemble une science[1],  non encore vérité, mais vérité en marche, évolutive. Une manière de s’adapter à des situations inédites car non paralysée par des approches connues d’avance. [2]

En faisant un choix au sein de la pluralité de pensée, l’État crée une différentiation de traitement de ses citoyens et engendre la division et la colère. Il a recours à l’autoritarisme pour imposer sa ligne de conduite, au détriment de la liberté des citoyens.

Panser l’économie : un renforcement du dogme économique de la croissance

Les mesures prises sont complétées d’un accompagnement financier pour soulager les conséquences économiques : compenser par des mesures financières les dégâts subis par les entreprises obligées de confiner, donc de réduire leurs activités. L’État propose son parapluie bienveillant et protecteur.

La bonne nouvelle, c’est que l’on peut sortir du chapeau des milliards, quasiment ex nihilo, pour une cause de force majeure. Je ne savais pas. Je pensais que tous les maux, nationaux ou internationaux, depuis le scandale de compter en France 300 000 sans abris dont de nombreuses femmes avec enfants, les guerres qui induisent des famines, les pollutions sans nom autour de la planète, les esclavages encore en vigueur pour nous offrir des produits de luxe, etc. ; tout ça, mille fois montré du doigt comme des hontes sociétales auxquelles il est prioritaire de remédier, on était habitué à entendre que ça couterait trop cher de s’en occuper en débloquant des millions,  que la croissance économique obligée ne s’en remettrait pas s’il fallait s’endetter pour ces causes improductives.

Alors ces milliards tout neufs, ils sont bienvenus, non ? Notre État protecteur ne nous oublie pas, nous permet de maintenir la tête hors de l’eau. Bravo, merci. A deux nuances près :

Le paradoxe de cette protection économique, reçue comme bienveillante, est d’engendrer la encore de l’inégalité dans la prise en compte de chacun, de rendre dépendant, et in fine d’exacerber la concurrence tout en hypothéquant l’avenir écologique de la planète.

Ces immiscions de l’État dans les domaines culturels et économiques produisent de l’inégalité entre citoyens, de la restriction de liberté, de l’autoritarisme.

Assumer l’exigence d’égalité entre citoyens

Pour apaiser une population très sollicitée, sceptique, et très en colère, l’État pourrait assumer sa vraie responsabilité, celle de garantir à chacun de ses citoyens une égalité de traitement, et une prise en compte du respect des biens communs.

Concrètement que demander à l’État pour agir dans ce sens dans le contexte covid ?

Où est l’inégalité entre citoyens, qui serait à compenser activement, voire avec autorité ? Il n’y a qu’à regarder les chiffres. Qui sont les plus touchés, les plus vulnérables, où vivent-ils, dans quel état de santé initiale sont-ils ? Comment organiser une attention particulière à chacun pour prévenir, pour protéger, pour accompagner avec amour chacun d’entre eux dans leur quotidien. Bien sûr ça coûte cher de mettre davantage de personnel à disposition des personnes âgées, bien sûr ça coûte cher de prévoir des abris dignes à ceux qui n’en ont pas, ça coûte cher de sortir nos hôpitaux d’une logique financière et économique pour les doter des besoins indispensables, de soulager au quotidien les infirmiers sous pression…

Compenser les inégalités de chacun devant le phénomène covid, cela veut dire activer des services d’accompagnement aux personnes, en amont des soins, en prévention par des mesures de confort minimum. Et pour les soins, cela veut dire prioriser les bénéficiaires, encadrer leur isolement si nécessaire, de façon humaine, mettre à disposition les moyens nécessaires.

Mais si toute cette activité est souvent négligée aujourd’hui parce que non rentable, il faut lui reconnaître de la valeur. Si on veut la rentabiliser, on l’industrialise, et finalement les gens sont des objets de profits. Mais si on regarde la valeur intrinsèque des individus, c’est elle que l’on intègre dans la collectivité en leur permettant d’être eux-mêmes jusqu’au bout, même vieux, même laissés pour compte qu’ils peuvent être actuellement. Mais n’est-ce pas retrouver un sens originel de l’économie de mettre en œuvre des services qui répondent aux vrais besoins identifiés, exprimés.

Finalement mettre de l’argent –et on voit qu’on peut en débloquer en quantité ! - sur la table, oui, mais alors tant qu’à faire autant que cela serve à engranger des vraies valeurs, humaines, au sein de la société.

Demander à l’État

c’est exiger de l’autorité qu’elle se penche sur l’égalité entre citoyens, et mette des moyens à cette disposition.  Ces moyens seront issus d’une économie active et non pas d’une économie mise au ralenti et confinée ! Économies qui seraient même boostées par la mise en lumière de besoins qui, dogme du libéralisme oblige, ont tendance aujourd’hui à passer à la trappe des pertes et profits.

S’intéresser à l’égalité entre tous, c’est donc œuvrer à la diversité culturelle que nous sommes tous ensemble, et elle en devient d’autant plus féconde ; mais c’est aussi pleinement économique, en permettant que les réciprocités s’expriment jusqu’à ce que les valeurs économiques soient aussi des valeurs humaines.

Faire face au hold-up technologique

On peut ajouter que cette mainmise sur la façon de penser la santé et de panser l’économie s’accompagne de la fermeture des librairies, des théâtres, des salles de spectacles, donc de la culture « de contact », au profit d’une culture « 5G »[4]. Celle-ci est intriquée à une économie 5G faite de e-commerce, de jeux vidéo, de séries internationales… et des amoncellements de profits qui vont avec.

On n’a pas besoin d’élaborer de théorie du complot pour constater simplement que dans les espaces culturels laissés vacants, la technologie s’engouffre et remplace la décision humainement pensée. La technologie c’est juste la technique logique, c’est-à-dire qu’elle s’engendre elle-même par successions de causes à effets ; son autoroute, c’est le vide culturel.  Les premiers de cordée courent derrière pour ne pas se laisser dépasser par les seconds. Leur autoroute, c’est la concurrence économique. 

C’est bien la question culturelle qui cède en premier. Comme un renoncement à une présence d’esprit collective. Par mesures autoritaires qui anesthésient la présence individuelle. Une vision habitée culturellement aurait pour effet de s’imposer aux défis économiques. Mettre toutes les compétences au service des besoins identifiés, créer ce lien entre savoir-faire et objectifs partagés et humanisés, c’est ce qui manque actuellement. Les manifestations portées par la jeune génération le montrent : la conscience est là, mais les moyens sont accaparés par des non objectifs, des espaces béants qui font le lit du siphon économique actuel. L’hold-up est technologique : dans le vide culturel, il installe une culture automatique, et son économie est alimentée par les clics, tout aussi automatiques car devenus systématiques.

Le culte de la technologie créatrice d’emplois et de confort, solution sécuritaire et sanitaire, bref, pourvoyeuse de tous les biens estimés nécessaires au 21ème siècle, est en fait une démission collective devant les défis d’aujourd’hui.  Il éloigne le politique de la démocratie, il nourrit une économie dévorante d’êtres humains. Et ruine la Terre.

Ne pas s’engouffrer dans le siphon automatique de la technologie, c’est élaborer collectivement un discernement, devant chaque situation. Cela passe par la pluralité culturelle induite par la liberté de penser. Pas un refus systématique de technique, mais bien au contraire un jugement sûr pour son utilisation à bon escient.  Et cela passe aussi par une économie apaisée car au service de besoins identifiés avec ce discernement.

La société civile porte l’initiative citoyenne, la créativité. Elle a un potentiel de prospective, d’émergence de solutions qui ne sont pas des répétitions du passé, mais des créations inédites en regard des conditions qui se présentent. Elle exerce une présence d’esprit, seul antidote possible à l’envahissement des algorithmes qui mènent le monde.

Pour cela, elle a besoin d’un berceau culturel qui attise la liberté de chacun, et qui organise la rencontre féconde de la richesse inhérente à la pluralité.

Elle sera alors moteur (et carburant !) d’une économie exempte de dogmes, juste là parce que les êtres humains ont besoin de se rendre service entre eux.

Pierre Dagallier, novembre 2020

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[1] C’était l’objectif initial de l’Université du Vivant, une initiative datant de 2009, qui a tenté l’expérience de la rencontre de divers courants de pensée

[2] Que penser par exemple de ces mutations du virus au sein des élevages de visons, qui reviennent à l’homme de façon résistante aux vaccins alors que ceux-ci ne sont pas encore distribués ? Avec pour toute réponse l’extermination de ces animaux, pourtant déjà bien éprouvés par un élevage discutable.

[3] En 1905, séparation de l’église et de l’Etat ; à quand une séparation entre la « religion » scientifique actuelle  et l’Etat ?

[4] D’ailleurs, les enchères pour l’attribution des fréquences 5G ont commencé, au mépris des demandes de moratoire de nombreux citoyens, dont beaucoup d’élus.

 

 

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